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Sur les conclusions des États généraux de l’information (EGI), « nous avons essayé d’être au point d’équilibre et aux confins de trois libertés fondamentales » : « la liberté du citoyen d’être informé de façon qualitative, pluraliste et sans manipulation », « la liberté, pour ceux qui informent, de le faire si possible à l’abri du plus grand nombre de pressions possibles » et « la liberté d’entreprendre », a analysé mercredi Bruno PATINO, président du directoire d’Arte et président du comité de pilotage des EGI, à l’occasion des 50 ans de la Fédération nationale de la presse d’information spécialisée (FNPS) où il était invité comme grand témoin. « Pour toutes les familles de presse et pour tous ceux qui font de l’information, le grand mérite des EGI est que ce thème a été mis à l’agenda », a-t-il poursuivi.

« La clé de voûte pour la presse professionnelle est la labellisation », qui « doit être volontaire et plurielle »

Les conclusions des EGI proviennent « de contributions multiples. Ces groupes de travail rassemblaient des personnes de milieux professionnels variés avec des métiers différents, des familles de presse, des éditeurs de presse professionnelle, de l’audiovisuel, de médias d’information, des journalistes, des universitaires, etc. Cela a permis effectivement d’avoir une réflexion dont la seule légitimité est sa qualité », a exposé le dirigeant.

En outre, Bruno PATINO a listé quatre grands problèmes pour l’information : « sa marginalisation » où « dans le torrent de messages et d’images auxquels on est confrontés, l’information a une part de plus en plus petite, ténue et congrue » ; « sa décrédibilisation » où « des actions extérieures souvent, intérieures parfois, attaquent vraiment ce socle de confiance » ; « les outils de polarisation qui amplifient et accélèrent les mécanismes de polarisation » et « sa paupérisation relative, à la fois des entreprises qui font de l’information, et de ceux dont l’information est le métier, les journalistes ».

« La clé de voûte pour la presse professionnelle est la labellisation (recommandation du Comité de pilotage des EGI). Elle est au rendez-vous de deux choses importantes : permettre aux citoyens de distinguer, et envoyer d’une certaine façon un signal ou un label de confiance aux citoyens, ainsi qu’être un gage d’efficacité des politiques publiques et être plus efficace dans les actions qu’on prend », a-t-il ajouté, estimant que cette labellisation « doit être volontaire et plurielle, parce qu’on ne peut pas imposer un seul et même critère de labellisation à des familles de presse différentes, des types de médias différents, de tailles différentes et parce que, comme pour la norme ISO, vous décidez de vous faire labelliser, mais personne ne vous force ».

« Très clairement, nous avons une politique de rééquilibrage à l’égard des plateformes », a également souligné le dirigeant, donnant en exemple la « transparence des ressources publicitaires », la « taxation avec une redistribution », l’«obligation d’affichage grâce à la labellisation », les « interprétations publicitaires » et « surtout le pluralisme des algorithmes, qui permet de garantir quelque chose comme une loi Bichet du numérique, afin que les plateformes ne puissent pas décider de façon monopolistique ce qu’elles mettent en avant ou non. Elles auront ce droit mais cela ne sera plus de leur monopole ».

Sur l’éducation aux médias, le président du directoire d’Arte a jugé que « ce n’est absolument pas une tarte à la crème » mais qu’il est « absolument essentiel d’avoir cette politique régulière et soutenue d’éducation à l’information ».

« Avant on s’informait, maintenant on est informé », résume M. PATINO, décelant trois ères dans la révolution numérique : l’accès général, les propagations et l’imbrication

En ce qui concerne le changement de l’écosystème informationnel, « avant on s’informait, maintenant on est informé », a résumé M. PATINO. « Il y avait une forme active de faire l’effort d’aller s’informer quelque part, alors qu’aujourd’hui cela arrive tout seul ». Depuis 25 ans, la révolution numérique se serait réalisée en trois étapes. La première, « l’ère de l’accès général » correspond au « moment où tous nos contenus sont devenus des fichiers », détaille Bruno PATINO, considérant que « le pouvoir était d’être trouvé par les moteurs de recherche. La presse d’information générale s’est faite alors avoir et n’a pas su négocier ».

Liée à « l’invention du téléphone portable et des réseaux sociaux », la deuxième étape est « selon le sociologue français Dominique BOULLIER, l’ère des propagations » où « tout à coup on pouvait accéder à tous les contenus » mais où « certains contenus étaient volontairement ou non volontairement accélérés et amplifiés » ; « on commençait à entrer dans une ère de l’information passive », « le pouvoir était passé à ceux qui avaient la capacité de propager et de capter l’outil publicitaire » et « les réseaux sociaux [représentent] l’arrivée d’un écosystème informationnel sans contexte puisque tout y est mélangé, tous les contextes d’utilisation et tous les types de contenus, ce qu’on appelle la loi de Poe ».

La troisième étape correspond à l’ère de l’imbrication » ; « un moment d’imbrication entre l’homme et la machine, entre le réel et le fictionnel, un moment où il y a tellement de contenus, tellement de choses, qu’on va déléguer notre relation au contenu. Comment suis-je choisi ? Comment suis-je découvert ? », a disséqué M. PATINO.

Spécifiquement sur l’IA, le président du comité de pilotage des EGI a répertorié plusieurs impacts. « Le premier est que l’IA va nous faire découvrir ou va nous faire choisir un film, de la presse spécialisée, etc. Cela veut dire que la politique de data me pousse à être vu par l’IA et surtout que je vais retrouver le dilemme féroce que si l’IA ne me scanne pas et ne s’entraîne pas sur moi, elle ne sait pas que j’existe. Mais en même temps, elle peut me demander de le faire sans respecter mes droits et le partage de la valeur ».

Un autre impact correspond au fait que l’IA « va produire votre propre contenu », poursuit M. PATINO. « Pour ne pas rater le coche du modèle économique, il faut passer d’un droit voisin qui est en fait un droit dérivé du droit d’auteur – on gagne sa vie parce qu’on est exposé et on est consulté – à un droit contributif – on gagne sa vie parce qu’on a donné ses contenus qui ont contribué à ce que l’IA crée quelque chose. Nous ne pourrons défendre le contenu contributif qu’avec un système collectif de licence légale et collective », a-t-il en outre lancé. « Je ne crois pas qu’il soit possible pour quiconque de jouer seul dans cette cour du modèle contributif ».

Source : avec l’aimable autorisation de La Correspondance de la Presse du jeudi 7 novembre 2024