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C’est une des préoccupations essentielles de l’ensemble des éditeurs : la trop fameuse « clause de cession », instaurée en 1935 par la loi Brachard portant statut des journalistes, et qui constitue un redoutable obstacle à la transmission d’une entreprise de presse.

Contrairement à la « clause de conscience », la clause de cession repose exclusivement sur des critères purement objectifs, la cession du journal ou du périodique ou la cessation de la publication pour quelque cause que ce soit.

Et, jusqu’à l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 3 février 2022 (voir Fiche pratique), les tribunaux se sont limités à examiner les conditions objectives justifiant la demande du journaliste sans envisager si, en lien avec la cession, « un changement notable dans le caractère ou l’orientation de la publication crée pour le salarié une situation de nature à porter atteinte à son honneur, sa réputation ou ses intérêts moraux ».

De plus, dans les deux cas, le législateur n’a prévu aucune limite d’application dans le temps ; cette imprescriptibilité constituant une véritable épée de Damoclès à la seule disposition des journalistes désireux de quitter l’entreprise dans des conditions financières insupportables pour de nombreux éditeurs à l’équilibre susceptible d’être durablement fragilisé.

Certes, la jurisprudence avait commencé un assouplissement par un arrêt de la Cour de Cassation de 2015 qui évoquait l’article 2224 du Code Civil sur le délai de prescription extinctive du droit commun limité à 5 ans. Sans aller jusqu’à invoquer la nécessité d’établir un lien de causalité entre la rupture du contrat de travail et la cession du journal, la Cour exprimait néanmoins le souci de rééquilibrer (un peu) le mécanisme de la clause de cession en faveur des éditeurs.

Allant un cran plus loin, le récent arrêt de la Cour d’Appel de Paris précisant que « à défaut d’établir un lien de causalité entre sa décision et la cession de l’entreprise, (la journaliste) ne pouvait se prévaloir valablement de la clause de cession », permet d’augurer d’un indispensable changement de paradigme.

Cette jurisprudence fait suite à un arrêt de la Cour de Cassation qui a estimé en 2020 que le lien de causalité entre la rupture du contrat de travail et la cession de l’entreprise devait être établi alors que ladite cession était intervenue plus de 3 ans auparavant. Ce qui est remarquable dans l’arrêt de renvoi de la Cour d’Appel, c’est qu’elle semble s’affranchir de la référence au délai intervenu entre l’exercice de la clause et la cession en stipulant « Il convient en l’espèce, quel que soit le délai pris par la salariée pour faire jouer la clause de cession, de vérifier l’existence d’un lien de causalité entre la rupture du contrat de travail et la cession du journal ». Il reste à espérer que cette approche, qui reprend l’esprit des demandes de réforme portées par la FNPS encore récemment lors d’une audition au Sénat, soit suivie d’une évolution jurisprudentielle confirmant un rééquilibrage du rapport de force entre éditeurs et journalistes dans l’intérêt de la presse et de son avenir.